Maître Corbeau, sur un arbre perché, Tenait en son bec un fromage. Maître Renard, par l'odeur alléché, Lui tint à peu près ce langage : Et bonjour, Monsieur du Corbeau, Que vous êtes joli ! que vous me semblez beau ! Sans mentir, si votre ramage Se rapporte à votre plumage, Vous êtes le Phénix des hôtes de ces bois. À ces mots le Corbeau ne se sent pas de joie, Et pour montrer sa belle voix, Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie. Le Renard s'en saisit, et dit : Mon bon Monsieur, Apprenez que tout flatteur Vit aux dépens de celui qui l'écoute. Cette leçon vaut bien un fromage sans doute. Le Corbeau honteux et confus Jura, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus.
Le Corbeau et le Renard: Morale :Il faut savoir garder la raison même quand quelqu'un nous flatte et nous dit ce que l'on veut entendre. La sagesse est toujours la plus forte.
La Cigale, ayant chanté Tout l'été, Se trouva fort dépourvue Quand la bise fut venue : Pas un seul petit morceau De mouche ou de vermisseau. Elle alla crier famine Chez la Fourmi sa voisine, La priant de lui prêter Quelque grain pour subsister Jusqu'à la saison nouvelle. "Je vous paierai, lui dit-elle, Avant l'Oût, foi d'animal, Intérêt et principal. " La Fourmi n'est pas prêteuse : C'est là son moindre défaut. Que faisiez-vous au temps chaud ? Dit-elle à cette emprunteuse. - Nuit et jour à tout venant Je chantais, ne vous déplaise. - Vous chantiez ? j'en suis fort aise. Eh bien! dansez maintenant.
La Cigale et la Fourmi: La morale est que le travail est fondamental, et il faut savoir être prévoyant.
Compère (1) le Renard se mit un jour en frais, Et retint à dîner commère la Cigogne (2). Le régal fut petit et sans beaucoup d'apprêts : Le Galand, pour toute besogne (3) Avait un brouet (4) clair (il vivait chichement). Ce brouet fut par lui servi sur une assiette. La Cigogne au long bec (5) n'en put attraper miette ; Et le Drôle eut lapé le tout en un moment. Pour se venger de cette tromperie, À quelque temps de là, la Cigogne le prie. Volontiers, lui dit-il, car avec mes amis Je ne fais point cérémonie." À l'heure dite, il courut au logis De la Cigogne son hôtesse ; Loua très fort sa politesse, Trouva le dîner cuit à point. Bon appétit surtout ; Renards n'en manquent point. Il se réjouissait à l'odeur de la viande Mise en menus morceaux, et qu'il croyait friande (6). On servit, pour l'embarrasser En un vase à long col, et d'étroite embouchure. Le bec de la Cigogne y pouvait bien passer, Mais le museau du Sire était d'autre mesure. Il lui fallut à jeun retourner au logis, Honteux comme un Renard qu'une Poule aurait pris, Serrant la queue, et portant bas l'oreille. Trompeurs, c'est pour vous que j'écris, Attendez-vous à la pareille.
Le Renard et la Cigogne: La morale est : Trompeurs, c'est pour vous que j'écris : Attendez vous à la pareille.
Un jour, sur ses longs pieds, allait je ne sais où, Le Héron au long bec emmanché d'un long cou. Il côtoyait une rivière. L'onde était transparente ainsi qu'aux plus beaux jours ; Ma commère la carpe y faisait mille tours Avec le brochet son compère. Le Héron en eût fait aisément son profit : Tous approchaient du bord, l'oiseau n'avait qu'à prendre ; Mais il crut mieux faire d'attendre Qu'il eût un peu plus d'appétit. Il vivait de régime, et mangeait à ses heures. Après quelques moments l'appétit vint : l'oiseau S'approchant du bord vit sur l'eau Des Tanches qui sortaient du fond de ces demeures. Le mets ne lui plut pas ; il s'attendait à mieux Et montrait un goût dédaigneux Comme le rat du bon Horace. Moi des Tanches ? dit-il, moi Héron que je fasse Une si pauvre chère ? Et pour qui me prend-on ? La Tanche rebutée il trouva du goujon. Du goujon ! c'est bien là le dîner d'un Héron ! J'ouvrirais pour si peu le bec ! aux Dieux ne plaise ! Il l'ouvrit pour bien moins : tout alla de façon Qu'il ne vit plus aucun poisson. La faim le prit, il fut tout heureux et tout aise De rencontrer un limaçon. Ne soyons pas si difficiles : Les plus accommodants ce sont les plus habiles : On hasarde de perdre en voulant trop gagner, Gardez-vous de rien dédaigner ; Surtout quand vous avez à peu près votre compte. Bien des gens y sont pris ; ce n'est pas aux Hérons Que je parle ; écoutez, humains, un autre conte ; Vous verrez que chez vous j'ai puisé ces leçons.
Le héron: Morale : Ne soyons pas si difficiles : Les plus accomodants, ce sont les plus habiles. On hasarde de perdre en voulant trop gagner.Gardez-vous de rien dédaigner, Surtout quand vous avez à peu près votre compte.
Mars autrefois mit tout l'air en émute. Certain sujet fit naître la dispute Chez les oiseaux ; non ceux que le Printemps Mène à sa Cour, et qui, sous la feuillée, Par leur exemple et leurs sons éclatants Font que Vénus est en nous réveillée ; Ni ceux encor que la Mère d'Amour Met à son char : mais le peuple Vautour, Au bec retors, à la tranchante serre, Pour un chien mort se fit, dit-on, la guerre. Il plut du sang ; je n'exagère point. Si je voulais conter de point en point Tout le détail, je manquerais d'haleine. Maint chef périt, maint héros expira ; Et sur son roc Prométhée espéra De voir bientôt une fin à sa peine. C'était plaisir d'observer leurs efforts ; C'était pitié de voir tomber les morts. Valeur, adresse, et ruses, et surprises, Tout s'employa. Les deux troupes éprises D'ardent courroux n'épargnaient nuls moyens De peupler l'air que respirent les ombres : Tout élément remplit de citoyens Le vaste enclos qu'ont les royaumes sombres. Cette fureur mit la compassion Dans les esprits d'une autre nation Au col changeant, au coeur tendre et fidèle. Elle employa sa médiation Pour accorder une telle querelle ; Ambassadeurs par le peuple pigeon Furent choisis, et si bien travaillèrent, Que les Vautours plus ne se chamaillèrent. Ils firent trêve, et la paix s'ensuivit : Hélas ! ce fut aux dépens de la race A qui la leur aurait dû rendre grâce. La gent maudite aussitôt poursuivit Tous les pigeons, en fit ample carnage, En dépeupla les bourgades, les champs. Peu de prudence eurent les pauvres gens, D'accommoder un peuple si sauvage. Tenez toujours divisés les méchants ; La sûreté du reste de la terre Dépend de là : Semez entre eux la guerre, Ou vous n'aurez avec eux nulle paix. Ceci soit dit en passant ; je me tais.
Les Vautours et les Pigeons: Morale : Tenez toujours divisés les méchants ; La sûreté du reste de la terre Dépend de là : semez entre eux la guerre, Ou vous n'aurez avec eux nulle paix.
L'Aigle et le Chat-huant leurs querelles cessèrent, Et firent tant qu'ils s'embrassèrent. L'un jura foi de Roi, l'autre foi de Hibou, Qu'ils ne se goberaient leurs petits peu ni prou.(1) Connaissez-vous les miens ? dit l'Oiseau de Minerve.(2) Non, dit l'Aigle. Tant pis, reprit le triste (3) oiseau : Je crains en ce cas pour leur peau : C'est hasard si je les conserve. Comme vous êtes Roi, vous ne considérez Qui ni quoi : Rois et Dieux mettent, quoi qu'on leur die, Tout en même catégorie. Adieu mes Nourrissons, si vous les rencontrez. Peignez-les-moi, dit l'Aigle, ou bien me les montrez : Je n'y toucherai de ma vie. Le Hibou repartit : Mes Petits sont mignons, Beaux, bien faits, et jolis sur tous leurs compagnons : Vous les reconnaîtrez sans peine à cette marque. N'allez pas l'oublier ; retenez-la si bien Que chez moi la maudite Parque (4) N'entre point par votre moyen. Il avint qu'au Hibou Dieu donna géniture.(5) De façon qu'un beau soir qu'il était en pâture, Notre Aigle aperçut d'aventure, Dans les coins d'une roche dure, Ou dans les trous d'une masure (Je ne sais pas lequel des deux), De petits monstres fort hideux, Rechignés, un air triste, une voix de Mégère.(6) Ces enfants ne sont pas, dit l'Aigle, à notre ami. Croquons-les. Le Galand n'en fit pas à demi : Ses repas ne sont point repas à la légère. Le Hibou, de retour, ne trouve que les pieds De ses chers Nourrissons, hélas ! pour toute chose. Il se plaint; et les dieux sont par lui suppliés De punir le brigand qui de son deuil est cause. Quelqu'un lui dit alors : N'en accuse que toi Ou plutôt la commune loi, Qui veut qu'on trouve son semblable Beau, bien fait, et sur tous aimable. Tu fis de tes enfants à l'Aigle ce portrait : En avaient-ils le moindre trait ?
L' Aigle et le Hibou: La morale est l'amour est aveugle
Du palais d'un jeune Lapin Dame Belette un beau matin S'empara ; c'est une rusée. Le Maître étant absent, ce lui fut chose aisée. Elle porta chez lui ses pénates un jour Qu'il était allé faire à l'Aurore sa cour, Parmi le thym et la rosée. Après qu'il eut brouté, trotté, fait tous ses tours, Janot Lapin retourne aux souterrains séjours. La Belette avait mis le nez à la fenêtre. O Dieux hospitaliers, que vois-je ici paraître ? Dit l'animal chassé du paternel logis : O là, Madame la Belette, Que l'on déloge sans trompette, Ou je vais avertir tous les rats du pays. La Dame au nez pointu répondit que la terre Etait au premier occupant. C'était un beau sujet de guerre Qu'un logis où lui-même il n'entrait qu'en rampant. Et quand ce serait un Royaume Je voudrais bien savoir, dit-elle, quelle loi En a pour toujours fait l'octroi A Jean fils ou neveu de Pierre ou de Guillaume, Plutôt qu'à Paul, plutôt qu'à moi. Jean Lapin allégua la coutume et l'usage. Ce sont, dit-il, leurs lois qui m'ont de ce logis Rendu maître et seigneur, et qui de père en fils, L'ont de Pierre à Simon, puis à moi Jean, transmis. Le premier occupant est-ce une loi plus sage ? - Or bien sans crier davantage, Rapportons-nous, dit-elle, à Raminagrobis. C'était un chat vivant comme un dévot ermite, Un chat faisant la chattemite, Un saint homme de chat, bien fourré, gros et gras, Arbitre expert sur tous les cas. Jean Lapin pour juge l'agrée. Les voilà tous deux arrivés Devant sa majesté fourrée. Grippeminaud leur dit : Mes enfants, approchez, Approchez, je suis sourd, les ans en sont la cause. L'un et l'autre approcha ne craignant nulle chose. Aussitôt qu'à portée il vit les contestants, Grippeminaud le bon apôtre Jetant des deux côtés la griffe en même temps, Mit les plaideurs d'accord en croquant l'un et l'autre. Ceci ressemble fort aux débats qu'ont parfois Les petits souverains se rapportants aux Rois.
Le Chat, la Belette et le Lapin: La morale est riche et imprécise: il y a ici une satire de tous les personnages, personne n'est épargné, beaucoup de défauts humains sont montrés du doigt.
Rien ne sert de courir ; il faut partir à point. Le Lièvre et la Tortue en sont un témoignage. Gageons, dit celle-ci, que vous n'atteindrez point Si tôt que moi ce but. Si tôt ? Êtes-vous sage ?(1) Repartit l'Animal léger.(2) Ma Commère, il vous faut purger Avec quatre grains (3) d'ellébore. Sage ou non, je parie encore. Ainsi fut fait : et de tous deux On mit près du but les enjeux. Savoir quoi, ce n'est pas l'affaire ; Ni de quel juge l'on convint. (4) Notre Lièvre n'avait que quatre pas à faire ; J'entends de ceux qu'il fait lorsque prêt d'être atteint Il s'éloigne des Chiens, les renvoie aux calendes, (5) Et leur fait arpenter les landes. Ayant, dis-je, du temps de reste pour brouter, Pour dormir, et pour écouter D'où vient le vent, il laisse la Tortue Aller son train de Sénateur. (6) Elle part, elle s'évertue ; Elle se hâte avec lenteur. Lui cependant méprise une telle victoire ; Tient la gageure (7) à peu de gloire ; Croit qu'il y va de son honneur De partir tard. Il broute, il se repose, Il s'amuse à toute autre chose Qu'à la gageure. À la fin, quand il vit Que l'autre touchait presque au bout de la carrière, (8) Il partit comme un trait ; mais les élans qu'il fit Furent vains : la Tortue arriva la première. Eh bien, lui cria-t-elle, avais-je pas raison ? (9) De quoi vous sert votre vitesse ? Moi l'emporter ! et que serait-ce Si vous portiez une maison ?
Le lièvre et la tortue: La morale est explicite et est placée au premier vers de la fable : "Rien ne sert de courir ; il faut partir à point".